© Alberto
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T’as pas un euro ?
- Ouais, j'ai déjà fait 6 tentatives de suicide.
- Mes parents ? Ils vivent séparés. Chacun vit de son côté.
- Ouais c'est bien, pis c'est pas bien.
- Non, je n'ai pas d'affection chez mes parents.
- La vie ? J'sais pas...
- Ouais, un chien il est nourri. Quoique y'a même des chiens qui ne sont pas nourris !
- Plus tard ?...
- Aujourd'hui c'est mercredi !
- Oui ! tous les devoirs sont faits !
- Vous faites quoi ? Vous êtes fonctionnaire ?
- Vous travaillez quoi en ce moment ?
- Un sens ?
- Mais personne !
- Personne ne peut dire ce qu'il y a derrière la mort.
- Oui ! Réfléchir... Non !
- L'idéal ? oui, l'idal...
- Mais je travaille bien à l'école !
- Je suis belle, hein !
- Ben après c'est fini !
- Ah oui ! mon âme...
- J'en sais rien.
- Non, s'ais pas si j'ai une âme.
Quel âge peut-elle avoir ? 12, 14 ans ? Elle m’aborde dans la rue piétonne, dans le clinquant des boutiques les plus à la mode : "T'as pas 1 euro ?” Avant c’était : “T’as pas 2 francs ?” Et avant, avant c’était : "T'as pas 100 balles ?” Je réponds : “Si, bien sûr !” J’ai même plus d’un euro dans ma poche ! Et je continue de déambuler. Elle me prend pour un fonctionnaire, sans doute à cause de mon attaché case. La fille m'emboîte le pas : "Ben t'as pas 1 euro ?” “Ben si !” je réponds, tout en marchant et en la regardant. L’un de ses copains (ils sont une bande) lui recommande : “Va pas trop loin !”
Au bout d'une centaine de mètres, je pile pour la toiser et lui dire : "1 euro pour acheter ça ?... ça ?..." Et de montrer du doigt un à un les badges qu’elle porte sur son blouson. “Pour acheter ça ?...” montrant ses yeux maquillés. “1 euro pour acheter quoi ?”
Elle me regarde avec des yeux ronds, des yeux de chiens battus. Les quêteurs d'affection savent se faire reconnaître. Même à 12, 14 ans. Comment lui expliquer ?...
Elle n'a déjà plus envie d'écouter ni de discuter. Puis soudain, elle dit : "Je suis une fleur !" Je réponds : "Ouais, et tu voudrais te cueillir toi-même !" Elle sourit. Elle a compris ma réplique. J'approuve assez sa façon de se définir par un seul mot : une fleur ! Sans le savoir, elle me touche profondément. Belle leçon, me dis-je ! J'aurais voulu lui répondre aussi par un seul mot, l'atteindre au plus profond d'elle même par un seul mot.
J'ouvre l’attaché case. Il est bourré de traités évangéliques écrits... en allemand ! Par bonheur, j’en trouve un écrit en français. Je lui mets devant les yeux, pointant du doigt un gros titre inséré au milieu d'un visage souriant : J'AI TROUVÉ ! Du coup, elle sourit. Avec moi, cela fait 3 visages souriants ! Mais vite, son univers à elle lui dicte une réplique d'où l'on devine la résignation et le deséspoir : “Trouver quoi ? " dit-elle.
Moi je ne suis pas encore essoufflé, je peux encore faire plusieurs tours de piste, discuter encore longtemps. Mais elle ? Je vois bien qu'elle tire la langue depuis un moment. Donner la réponse, même s'il s'agit d'un seul mot, signifie encore au minimum un tour de piste, parler au moins pendant 5, 10 minutes.
A côté de mon doigt pointé sur le titre J'AI TROUVÉ, il y a un autre titre écrit en si gros caractères qu'elle ne peut ne pas le lire : DIEU !
En fait, tout est dit. Et en un seul mot ! On peut finir tranquille le tour de piste. Juste encore pour expliquer ma situation dans cette ville.
“Salut !”
Le temps de boucler mon sac, elle a déjà pris les jambes à son cou.
"Viens ici ! "
Je la rappelle.
Elle revient.
Ne voulait-elle pas 1 euro ?
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