La solitude n’est pas
simplement le fait de vivre seul, mais plutôt le sentiment de ne pas être
reconnu, de ne compter pour personne, d’être rejeté ou méprisé par les autres.
Mère Térésa disait : « La plus grande des pauvretés, c’est de n’exister pour
personne ».
Le
plus souvent, ce n'est pas par choix qu'on se retrouve seul, mais parce qu'on
n'est pas parvenu à nouer des relations de confiance et d'amitié avec autrui.
Par timidité peut‑être ou par honte, à la suite d'une faute. Ou encore parce
qu'on se heurte à l'égoïsme, à la dureté ou au mépris de ceux que l'on côtoie.
La
vie moderne, surtout dans les grandes villes, favorise la solitude. Dans une
petite communauté, un village par exemple, on connaît tout le monde, on se
parle, on appelle chacun par son nom. Dans la grande ville, on se côtoie sans
se connaître, On peut habiter sur un même palier sans jamais se parler. Chacun
reste sur la défensive et ne se soucie pas des autres. J'ai lu dans un journal
le cas d'une femme de soixante ans retrouvée morte treize mois après son
suicide. Ni ses deux enfants, brouillés avec elle, ni l'office des HLM qui ne
touchait plus son loyer, ni les voisins ne se sont inquiétés. C'est là un cas
extrême sans doute. Mais il reste vrai que la grande ville est pour beaucoup
synonyme de solitude. Toutefois, il serait faux d'en faire la principale cause
de solitude. Un grand nombre d'habitants des grandes villes ont des relations
de toutes sortes, avec leur famille, des amis, des camarades de travail, des
voisins. A l'inverse, on peut se sentir terriblement seul dans une communauté
villageoise et souffrir d'être épié, jugé par les commérages, tenu à l'écart
par l'esprit de clan qui divise la communauté et exclut ceux qui n'entrent pas
dans le moule.
La vie avec les autres n'est pas facile
Beaucoup
sont poussés dans la solitude par les expériences malheureuses qu'ils ont
vécues. Ils ont été si souvent déçus, blessés, rejetés par les autres, qu'ils
ne peuvent plus faire confiance à personne. Dans une émission télévisée sur
des jeunes délinquants américains, l'un d'eux déclarait : « Quand un
jeune tourne mal, c'est parce que quelqu'un qu'il aimait l'a laissé tomber. Et
ça, ça fait mal. Il faut se battre pour surmonter. Sinon, tu seras le plus seul
de tous les solitaires. Tu en voudras à tout le monde ».
Nous
pouvons tous le constater, au moins à certains moments : la vie avec les autres
n'est pas facile. Elle est marquée par des déceptions, des malentendus, des
conflits, des souffrances. C'est ce qui amenait un personnage de Jean‑Paul
Sartre à déclarer : « L'enfer c'est les autres ». Il en résulte chez beaucoup
une peur des autres qui les pousse à les fuir. Dans certaines circonstances, la
solitude peut donc être un refuge. Elle reste pourtant un malheur.
Dans
la grande majorité des cas, l'absence des autres, la perte de toute relation
affective, le sentiment de ne pouvoir se fier à personne, entraînent un
sentiment d'échec et sont des causes de souffrance.
Victime de l'individualisme
Malheureusement,
la mentalité moderne encourage l'individualisme, l'idée que l'on peut se passer
des autres et que le seul but valable dans la vie est la relation de soi. C'est
ainsi qu'on a pu lire sur des affiches : Besoin de personne pour faire
son chemin. Cette phrase est
mensongère. Elle l'est sur le plan pratique ce que nous sommes dépend en grande
partie de ce que nous avons reçu de nos parents, de nos éducateurs, de tel ou
tel ami ; même le plus forcené des individualistes ne peut réussir sans l'aide
de conseillers, de collaborateurs, de fournisseurs ou de clients. Mais surtout
une telle phrase nous trompe sur nous‑mêmes.Elle nous laisse croire qu'on peut
se suffire à soi‑même et suivre son chemin en ne se souciant que de sa propre
réussite.
En
réalité, il n'y a pas de véritable épanouissement de soi sans les autres. «
Il n'est pas bon que l'homme soit seul », déclare le Dieu créateur dans la Bible. L'être humain en effet a besoin
de communauté, d'échanges, de rencontres. Les sciences humaines et l'expérience
ne font que confirmer cette vérité. Un psychiatre, le docteur Laplane écrit : «
La relation affective, plus que le pain, est nécessaire à la vie », et il ajoute, parlant du suicide : « Dans tous
les cas, c'est la perte du lien interpersonnel qui est mortelle ». Une psychanalyste, Françoise Dolto affirme : «
La souffrance majeure de l'être humain, c'est de ne pas communiquer avec les
autres ». Un philosophe André
Comte‑Sponville ne craint pas de dire : « Il n'est de bonheur que d'aimer
». On pourrait continuer longtemps.
La
volonté d'indépendance, d'auto‑suffisance est une terrible pourvoyeuse de
solitude. Michel Hannouh le dit très justement dans son livre : Nos
solitudes : « Affirmer son
indépendance, c'est dire implicitement qu'on n'a pas besoin de l'autre...
L'être indépendant considère toujours l'autre comme une contrainte...
L'individu est aujourd'hui l'auteur de sa propre solitude en même temps que sa
victime. Il aspire à l'indépendance, mais il ne la supporte pas ».
L'être humain se trouve alors déchiré entre la volonté de s'affirmer contre les
autres, de se défendre d'eux et de la peur de la solitude.
Sommes‑nous condamnés à la solitude ?
C'est
là un des grands malheurs de l'humanité, selon la Bible. Nous faisons notre
propre malheur en choisissant de vivre à notre guise, sans prêter attention à
Dieu. D'où ce diagnostic du docteur Paul Tournier : « Nous pensons et
agissons constamment comme si notre propre vie était en principe absolument
autonome, indépendante de Dieu qui l’a créée, du monde extérieur ou elle est
née et de la communauté humaine sans laquelle elle est inconcevable.
Pour
vaincre la solitude, il nous faut accepter de changer de mentalité, sortir du
cercle vicieux de la défense de soi. Il n'y a de communauté possible que là où
je renonce à disposer des autres et même à disposer de moi‑même, en préservant
mon entière liberté. Il n'y a de communauté possible que là où j'accepte que
des liens se créent entre moi et les autres (des liens par lesquels je suis
lié), non pour que j'aie la mainmise sur mon prochain, mais pour qu'il sache
qu'il a du prix à mes yeux. C'est seulement en renonçant à posséder l'autre que
je peux le libérer de son besoin de se défendre. Il en est de l'amitié comme de
l'eau que l'on tient au creux de la main si on ferme la main pour mieux la
tenir, elle fuit. Pour
garder ainsi la main ouverte devant les autres, pour oser se rendre vulnérable
en accueillant autrui, pour faire le premier pas, puis le deuxième et continuer
malgré les échecs, il faut déjà être fort. Or, la plupart d'entre nous ne
sommes pas forts. Nous avons connu trop de déceptions et de blessures. Sommes‑nous
alors condamnés à la solitude ?
Un amour qui libère
Le
salut ne peut venir que de la découverte d'un véritable amour, d'une amitié
telle qu'elle nous libère du besoin de nous défendre, qu'elle nous permet
d'accepter d'être acceptés, sans avoir à prouver ou à payer quoi que ce soit.
Cette
découverte nous est offerte par l'Evangile de Jésus‑Christ. Nous y rencontrons
celui qui nous aime sans conditions, qui accueille tous ceux qui viennent à lui
et tout spécialement les petits, les faibles, ceux que les autres repoussent,
ceux qui se méprisent eux‑mêmes parce qu'ils ont gâché leur vie. Il a osé
renoncer à se défendre au point de se laisser crucifier pour nous réconcilier
avec Dieu et nous donner l'assurance que nous avons du prix aux yeux de Dieu,
malgré nos échecs et nos fautes. L'apôtre Paul écrit : « Rien, ne pourra nous séparer de l’amour
de Dieu manifesté en Jésus‑Christ ».
C'est cette assurance qui peut seule nous donner la liberté de faire place aux
autres, au lieu de les tenir à distance ou de les dominer. C'est en nous
sachant accueillis par Dieu notre Père, en acceptant d'être ainsi aimés, que
nous recevrons le courage de tendre la main et la force de nous lier aux autres
pour recréer de vraies communautés, d'où la tristesse de la solitude sera
bannie.
Robert Somerville
paru
en 1998
«
Rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Jésus‑Christ »
(La Bible : Lettre aux Romains, chapitre 8, verset
39)