De la fiction à la réalité
Voici comment, à partir
des premières lignes fictives d'un récit, l'aventure d'Alberto s'est
poursuivie dans la réalité sur Joueb.
Voici ce début de récit :
Six
ans déjà qu'Alberto n'a pas revu son pays ! Pourtant, il n’est pas en
exil. Personne ne l'oblige à être là. Il y est de plein gré. “Pas si
loin que ça” comme il dit souvent, mais assez loin quand même.
D'ailleurs, loin ou près, qu'est-ce que cela peut faire ? dès lors que
vous passez une frontière, vous entendez une autre langue. Vous êtes
étranger. Quelle que soit votre nationalité. Vous devez ranger au
placard votre langue maternelle. Vous devez vous débrouiller. Tout votre
corps se mobilise, de la plante des pieds jusqu'au sommet du crâne avec
tout ce qu'il y a à l'intérieur. La pensée s'élève, va plus haut,
essaye d'aller encore plus haut, puis redescend, descend, au plus
profond si possible, et fait même parfois du yoyo. Inévitablement vous
prenez conscience de vos racines. Les racines dans la terre, comme
celles des arbres, ce sont elles qui donnent la vie, qui ordonnent à la
vie de se développer, d'être. La sève monte, le sang coule dans les
veines. La terre, la terre, mais il n'y a pas que la terre... Ses bras
n'arrivent pas à entourer le tronc d'un chêne qui se dresse comme un
colosse au centre de la place du marché. Il n'y a personne sur la place.
Il n'y a que lui. Et pour cause : il est cinq heures du matin ! Et ce
n'est pas jour de marché, sans quoi les marchands seraient déjà là.
Qu'est-ce
qu’il a ? Le voilà, le mec, la tête contre l'écorce rugueuse. Ses
doigts se crispent. Il pleure. C'est une autre sève, maintenant, qui
monte dans ses yeux, dans ses narines, qui lui crispe les lèvres, les
forçant à se tortiller en forme de grimace. Un peu sangloter. Juste
quelques minutes. Caché ici. Il faut s’essuyer. Se moucher. Renifler.
Quelques sanglots encore. Difficile de communiquer cette autre sève qui
vient sûrement de trop loin et qui va aussi quelque part dans un
lointain inaccessible et profond, profond comme un puits... L’homme
Alberto est là, si petit face à ce colosse de bois. Bon sang, il n'était
pas venu là pour pleurer ! Quel étrange vire-voltage de son âme. Une
musique dans l’air l’aurait-il attendri ? Il prête l’oreille. Il
n’entend rien. Certes, il a entendu beaucoup au cours des années
passées... Il sait que l'amour existe, comme il sait d’ailleurs que Dieu
existe. Mais qu’est ce que cela peut faire lorsque l'un ou l'autre
n’est pas là ? En revanche, Alberto, lui, il est bien là ! En chair et
en os.
Comme c’est étrange d’être sur terre ! Il suffirait qu’un
balayeur (il en aperçoit plusieurs qui commencent leur turbin)
s’approche de lui pour demander, non pas l’heure, mais : « Où est
Dieu ? » Il lui répondrait avec la plus grande des certitudes : « Dieu
est là ! Tu ne le vois pas, mais il est là ». Il lui expliquerait : «
Non, le chêne que tu vois n’est pas Dieu, ce n’est qu’un arbre planté
par un être humain il y a au moins cent ans ! Il a travesrsé les deux
grandes guerres. Il a connu le temps des diligences, il a entendu les
locomotives à vapeur et le TGV. Il a vu autant de gens qu’il a eu de
feuilles… » Ah, il en aurait des choses à lui dire à ce balayeur... Bien
sûr, il ne vient pas. Pourquoi viendrait-il ? Pourtant à deux en se
tenant les mains, ils parviendraient aisément à faire le tour du tronc.
Qui a bien pu le planter cet arbre ? Mieux qu’un monument aux morts, il
trône au milieu de la place. Des noms y sont gravés au couteau, des
cœurs, des signes que le temps a trituré mais non réussi a
effacer. Ses doigts suivent les
aspérités un long moment puis Alberto s’étire comme un chat qui se
réveille et arbore un petit sourire en coin avec la pensée que si le
chêne pouvait parler, lui aussi en aurait de ces histoires à raconter,
toutes vraies et qui se sont passées sous ses branches.
Alberto
traverse la grand-place pavée. L’envie de prendre ses jambes à son cou
lui est venue subitement, mais pour éviter les sarcasmes des balayeurs,
il se résoud à marcher tel un quidam qui se rend à son travail. Un
rescapé de l’ère industrielle qui irait, comme au bon vieux temps,
pointer à l’usine d’à côté bien avant les premiers rayons de soleil.
L’un des balayeur n’est pas dupe :
- Eh !
Alberto
regarde le balayeur dont le teint révèle l’origine outre-mer. Un
portable dépasse de la poche de sa salopette et un béret basque lui
coiffe une chevelure plutôt hirsute.
- Tu sors de boîte ?
- Quoi ? Là, Alberto est planté d’étonnement.
- Tu sors de boîte ? répète l’homme en train de traîner passivement une poubelle.
Alberto éclate de rire. Il ne s’attendait pas à cette question saugrenue. Le gars doit le prendre pour un poivrot ou un fêtard.
-
Est-ce que j’ai l’air d’avoir passé la nuit dans un bar ? se démène
Alberto en guise de réponse et en faisant « non » de la tête surtout
pour exprimer la stupidité d’une telle question.
Mais l’autre reste cantonné dans ses avances.
- Tu veux une adresse ?
Alberto sait où il veut en venir. Décidemment, se dit-il, la nuit c’est la nuit avec tous ses pièges !
- Ecoutez, Monsieur, je ne suis pas un homme de nuit mais un homme de jour !
-
Et alors ? La nuit, le jour, c’est kif-kif. Moi je peux te donner
quelque chose pour pas cher. Tu fais ça la nuit, tu fais ça le jour,
comme tu veux…
Il a posé son balai et manipule maintenant son portable.
- Ouais, dit Alberto, tu vendrais père et mère pour arriver à tes fins. Tu n’as pas peur que Dieu te punisse ?
Le balayeur ouvre sa bouche en grand pour sourire et pour dire :
- C’est kif-kif avec Dieu !
Le
nacre de ses dents resplendit sous le premier rayon de soleil. Alberto
regrette de ne pas avoir pris ses jambes à son cou. Qu’est-ce qu’il fait
là à discuter avec ce type ? Finalement il décide de lui renvoyer sa
question :
- Et toi, tu veux quelque chose pour pas cher ? Alors décide-toi à croire en Dieu en faisant le bon choix et crois en Jésus.
L’homme d’outre mer répond du tac au tac :
- C’est kif-kif Jésus, Allah !
...
Les lignes s'arrêtent là. Il n'y eut aucune suite parce qu'Alberto découvrit Joueb et au lieu de continuer son roman, il
s'investit dans un blog qu'il intitula : "Il a fallu qu'un jour Dieu
fasse l'homme". Après tout, son aventure sur Joueb vallait bien un
roman !
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Bien que mon blog soit fermé depuis plusieurs années, je m’apercois qu’il continue d’être visité journellement par un certain nombre de visiteurs. Je tiens à remercier chaleureusement tous ces visiteurs et leur souhaite bonne chance ! Bonne continuation !